REVUE DE PRESSE

LE MONDE | 23.11.2015 à 14h33 | Par Brigitte Salino

"Déter", une pièce de Baptiste Amann jouée dans le lycée professionnel Oberlin à Strasbourg.

Ils sont une cinquantaine, des filles et des garçons de 17 et 18 ans, assis dans un amphithéâtre où Louis Pasteur a mené ses premières expériences. Mais, ce jeudi 19 novembre, ils ne suivent pas un cours. Ils assistent à une pièce de théâtre, Déter, de Baptiste Amann, donnée dans le lycée professionnel Oberlin, à Strasbourg. Des professeurs, et le proviseur sont aussi dans la salle, où un bureau tient lieu de décor. C’est celui de la directrice d’une école maternelle, qui a convoqué les parents d’un élève. Elle est tendue, elle a peu d’expérience et ne sait pas comment s’y prendre pour annoncer la nouvelle : le fils du couple, âgé de 5 ans, a planté un crayon dans l’abdomen d’un de ses camarades, qui a dû être hospitalisé.

Acte de violence, ou accident ? Comment comprendre, réagir ? Entre la directrice et les parents, très vite, le ton monte… Mais ça veut dire quoi, « déter » ? « C’est quand on veut absolument parler. On dit qu’on estdéter”», explique une jeune fille après la représentation, d’excellente tenue, qui ouvre un débat entre le metteur en scène (Rémy Barché), les comédiens (Natalie Beder, Séphora Pondi, Samuel Réhault), les élèves et les représentants du Théâtre national de Strasbourg, qui ont organisé l’opération avec le Théâtre national de la Colline, à Paris, et la Comédie de Reims. Les trois théâtres ont commandé la pièce, et demandé à Rémy Barché de la présenter dans des lycées, souvent professionnels ou classés en ZEP (zones d’éducation prioritaires) de leurs trois villes, où ils mènent un travail, avec les élèves.

Déterminisme social, préjugés, violence

Selon les endroits, les réactions diffèrent. A Paris, où Déter a été jouée avant Reims et Strasbourg, c’est le déterminisme social qui était mis en avant par les lycéens, dans les débats. A Strasbourg, ce sont les préjugés et la violence. Un élève parle du racisme : dans la pièce, la directrice fait remarquer que l’enfant incriminé est « mat ». Une autre élève évoque un fait divers datant de quelques jours : dans le Haut-Rhin, un adolescent a tué un de ses camarades, dans un bus scolaire, avec une arme prise à son père.

Le vivre-ensemble qui est au cœur de la pièce, subtile, de Baptiste Amann, renvoie les élèves à leur quotidien. Mais ce n’est pas d’eux qu’ils parlent, par pudeur sans doute : ils préfèrent en rester aux personnages de Déter. Pour la plupart, les filles présentes se préparent au service à la personne, en plein développement, et les garçons, à la vente. Ils sont issus de différentes nationalités, ils vivent à Strasbourg ou dans la banlieue. Le théâtre leur offre un espace de réflexion et de parole bienvenu. Ils ont hâte, d’ailleurs, de connaître la suite de Déter, que l’auteur envisage d’écrire, et qui mettra en scène les parents de l’enfant incriminé, face à un psychologue.